Le selfie de la pizza
- Lionel ROQUES (Délégué syndical CFDT)
- 21 févr. 2019
- 3 min de lecture
L’homme/la femme moderne, que nous sommes, est confronté à des modalités qui étaient peu ou pas présentes par le passé. En tous cas, il est sûr que nous n’y étions pas préparés et sommes condamnés à nous y adapter tant bien que mal.
L'ambiguïté de notre environnement
Parmi ces modalités, il y a ambiguïté de notre environnement. Le discours politique, syndical, idéologique, est de moins en moins affirmé et nous en arrivons parfois à nous laisser entraîner à partager des points de vue qui ne sont pas les nôtres. Cette ambiguïté se retrouve, aujourd’hui, tous les samedis depuis quelques mois.
La complexité du monde Ensuite, il y a la complexité et de cela, nous avons déjà parlé dans cette rubrique. La complexité du monde n’est pas une habitude. Pour néandertal, tout se résumait à la "simple" survie. Plus tard, le monde était encore simple, il y avait le camp capitaliste et le camp soviétique ; il y avait la gauche et la droite ; il y avait les écologistes et les saccageurs de la nature.
Aujourd’hui les signaux sont brouillés : Pôle emploi, par exemple, se doit à la fois d’être un amortisseur social et budgétairement rentable (performance opérationnelle versus performance sociale) !
L'interdépendance En troisième lieu, il y l’interdépendance. La chose publique est comme un gigantesque mikado, en équilibre précaire. Retirez une baguette et vous modifiez cet équilibre de façon irréversible.
L'individuation
Enfin, il y a ce qu’on appelle l’individuation, qui est le désir (légitime au demeurant) de se réaliser. De donner un sens à sa vie. Et, comme le travail occupe une place centrale dans nos sociétés, il est vital de retrouver le sens du travail. Nous voilà donc confrontés, écartelés, si j’ose dire, entre ces impératifs. C’est dire si notre cerveau doit faire preuve d’une grande capacité adaptative. Or notre environnement subit des transformations qui ne sont pas progressives. Les mathématiciens diraient que nous avons affaire à des fonctions discontinues.
Disruptif
Aujourd’hui, nous dirions plus volontiers que le monde est devenu « disruptif ». Il y a, brutalement, sans transitions, de brusques changements. Nous avançons sur des paliers et si vous n’avez pas « l’agilité et la robustesse » nécessaires à franchir ces paliers, vous voilà rapidement décrochés.
Nostalgiques du Minitel, la honte soit sur vous !
Nous avons tous, aujourd’hui, au moins 2 messageries (une privée, une professionnelle). La plupart d’entre nous possèdent des comptes sur les réseaux sociaux. On ne peut plus rentrer dans la moindre boutique sans se faire fourguer la carte de fidélité qui s’assortit de l’abonnement à une newsletter qui encombre nos messageries. A pôle emploi, suivant l’activité dominante, nous recevons les infos qui vont bien depuis le réseau pôle. Infos, qu’à moins de commencer sa journée à 7h et finir à 18h, aucun être humain n’est capable d’assimiler. Or, nous devons faire semblant de le pouvoir car le temps est à la performance, au dépassement de soi, au culte du sur-homme/femme.
Le FoMo
Nous souffrons de cette étrange maladie que les anglo-saxons ont baptisée FoMo (Fear of Missing out), littéralement peur de ne pas faire partie (du groupe, des décideurs, de ceux à qui on ne la fait pas…), d’être absent. Cette étrange maladie qui nous rend capables d’envoyer la photo de la pizza que nous mangeons à nos followers ou le selfie de Gaston qui grimace devant la Tour Eiffel. Oui, nous y étions ! L’humain citadin (ou rural) et salarié moyen que nous sommes prend entre 5 et 6000 décisions par jour. Depuis celle de se lever au son du réveil jusqu’à la planification de ses congés.
De la procrastination à la précrastination Or, il y a une tendance naturelle de l’être humain qui s’appelle la procrastination. Et comme ce n’est pas bien de « procrastiner », à pôle emploi et ailleurs, on nous pousse à la précrastrination (comme par exemple de prévoir nous congés d’août dès le mois de février. En 2008, lorsqu’a été opérée la fusion ANPE/Assédic, les économistes prévoyaient le plein emploi sous 2 ans. Ils n’avaient pas prévu l’épingle à cheveux qui a fait exploser la bulle financière et fait voler en éclats cette précrastination imbécile.
Alors chers camarades, prenons soin de nous ! Ne précrastinons pas !
Donnons du sens à notre vie et à notre travail. Retrouvons notre humanité !
C’est là, le but de notre engagement syndical. Si vous en doutez, syndiquez-vous aussi, ... de préférence à la CFDT.
Et cessons de photographier les pizzas !
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