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INTERVENTION À LA RÉUNION MULTILATÉRALE SUR LA RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE LE 18 JUIN 2019

  • Laurent BERGER
  • 19 juin 2019
  • 8 min de lecture

Monsieur le Premier Ministre,

Madame la Ministre,

Il y a une semaine tout juste, le Président de la République prononçait un discours remarqué à Genève dans le cadre du centenaire de l’OIT. Nous y avons entre autre entendu « nos concitoyens veulent plus de sens, de proximité et plus d’humanité ». Et le président d’ajouter : « Nous avons parfois construit des réponses trop loin de nos concitoyens en considérant qu’il y avait les « sachants » et les « subissants ». C’était une erreur fondamentale ».

Le lendemain, Monsieur le Premier Ministre, dans votre discours de politique générale, vous énonciez comme vos deux premières priorités la transition écologique et la justice sociale. Vous imaginez bien que nous partageons ces ambitions. Car les mots ont un sens.

Dans le chapitre justice sociale, Monsieur le Premier Ministre, le premier sujet que vous avez évoqué c’est l’assurance chômage.

Et bien, nous y sommes, et de justice sociale il n’y en a point.

D’humanité pas davantage.

Car si l’on regarde la traduction, l’impact des mesures que vous venez de nous présenter à l’aune des situations individuelles et personnelles pour tous les demandeurs d’emploi, certains cumulant d’ailleurs plusieurs d’entre elles, notamment les plus précaires, la situation est injuste.

Injuste car deux logiques sous-tendent ces mesures.

1. Une logique d’abord budgétaire, avec des recherches d’économies sans précédent, sur le seul dos des demandeurs d’emploi.

Avec les ordonnances modifiant le code du travail - annoncées lors de la campagne présidentielle - vous nous avez expliqué qu’il fallait assouplir les licenciements pour créer des emplois.

Aujourd’hui, alors que le chômage baisse moins vite qu’anticipé, vous nous expliquez que le problème vient d’allocations chômage qui seraient trop élevées et qui n’inciteraient pas à la reprise d’emploi.

2. Une telle logique laisse à penser que le chômage est un choix. Oui, monsieur le Premier Ministre, nous ne sommes pas naïfs, l’adaptation de comportements existe mais elle ne concerne qu’une minorité des demandeurs d’emploi. La très grande majorité des demandeurs d’emploi aspire au travail. A travailler plus, à travailler mieux.

Non, le chômage n’est pas un choix et ce n’est ni en durcissant les conditions d’accès au régime, ni en instaurant une dégressivité pour les plus hautes rémunérations que les demandeurs d’emploi vont comme par magie trouver un emploi….

La CFDT ne peut que s’opposer fortement à cette réforme injuste dont nous ne partageons pas les principes qui la guide.

Cette réforme par décret que vous vous apprêtez à mener, vient de loin.

Elle vient d’abord de votre choix de transférer la cotisation chômage salariée vers la CSG. Ce choix était la première étape d’un transfert de la responsabilité des partenaires sociaux vers l’Etat.

Après ce choix, une lettre de cadrage a été transmise aux partenaires sociaux afin d’effectuer plus de trois milliards d’économie en portant des mesures rudes et difficilement atteignables par la négociation. Pour rappel, les partenaires sociaux ont déjà fait, dans le cadre de la convention de 2017, 800 millions d’€ d’économie et se sont vus imposer l’indemnisation des indépendants et l’élargissement de la couverture assurance chômage aux démissionnaires. Une lettre de cadrage plus marquée par la trajectoire budgétaire que la situation réelle des demandeurs d’emploi…

Enfin, cette réforme arrive aujourd’hui alors que nous avons pu échanger sur le diagnostic, sans le partager. Vous nous aviez informé en février d’une cinquantaine de réunions… certes, le nombre ne fait pas la qualité de la concertation, mais il est peu de dire que le point d’atterrissage aujourd’hui présenté, ressemble, en beaucoup plus dur, à ce qui avait été dessiné par la Ministre à l’issue de la négociation.

Avant de vous faire part de notre analyse des mesures que vous venez d’annoncer, je reviendrais sur quelques principes fondateurs de l’assurance chômage. Notre enjeu est de toujours placer les demandeurs d’emploi au cœur de cette réforme. Qui sont les personnes dont il est question ? Des travailleurs précaires et pauvres souvent avec plusieurs CDD ou missions d’intérim dans le mois. Pour la plupart, ils travaillent et aspirent à travailler à temps plein :

Les règles de cumul actuelles, pour inciter les personnes à reprendre un emploi, sont ainsi faites :

  • Le demandeur d’emploi gagne toujours plus en reprenant un emploi qu’en restant au chômage

  • Il ne peut pas toucher plus au chômage que son ancien salaire

La moitié des demandeurs d’emploi indemnisés travaillent tous les mois et vous allez les toucher en premier alors qu’ils travaillent

  • 40% des allocataires qui travaillent vivent dans un foyer dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté.

  • 42% des allocataires ne connaissaient pas les règles d’indemnisation et il est faux de penser qu’un demandeur d’emploi « choisit » de rester en CDD si on lui propose une CDI ! d’autant plus quand 90% des embauches se font en CDD !

Venons-en maintenant aux annonces de la réforme…en trois points.

1. Un premier point positif, l’accompagnement renforcé. Pour la CFDT, l’assurance chômage ne se limite pas au versement d’une allocation. C’est à la fois une indemnisation de qualité ET un accompagnement de qualité. Comme nous le disons depuis des années : il faut faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons d’ailleurs décidé politiquement de commencer sur ce thème lors de la négociation en octobre 2018. Certains d’ailleurs, au gouvernement, y ont vu une stratégie d’évitement pour ne pas entrer dans le vif du sujet … C’était un point clé pour la CFDT, cela reste un point clé. Nous nous sommes investis loyalement dans la négociation de la convention tripartite et nous poursuivrons ce travail. Nous nous en sommes déjà emparés dans le démarrage des mobilisations territoriales mais nous vous alertons d’ores et déjà monsieur le Premier Ministre : certains acteurs locaux ont envie de faire, mais le risque d’une pure approche institutionnelle est grand, très grand. Au niveau national vous avez l’intention de « mettre le paquet », dont acte, mais assurez-vous que cela suive effectivement dans les territoires.

2. Mais que veut dire un accompagnement renforcé quand on diminue drastiquement les allocations des plus précaires ? monsieur le Premier Ministre, les demandeurs d’emploi chercheront toujours à reprendre un emploi pour remplir le caddie plutôt que d’être en formation !

Et en ce qui concerne les modifications des mesures relatives aux règles d’indemnisation, partons des réalités concrètes des demandeurs d’emploi, qui sont loin d’être des cas isolés.

Qui vos mesures vont-elles toucher ?

les cas que je vais évoquer sont réels.

Marco n'a pas choisi d'être chômeur

Marco, 21 ans, a quitté l’école à 16 ans car il n’a pas trouvé de patron en apprentissage. Il est resté quelques mois sans activité et a trouvé quelques petits boulots ponctuels de déménageur, dans la maçonnerie, saisonnier dans l’agriculture.

Concrètement, il vient à peine de cumuler 4 mois de travail sur les 12 derniers mois. Il devra donc encore attendre pour atteindre 6 mois de travail, alors même qu’il ne bénéficie pas du RSA. Aujourd’hui, il est contraint de vivre chez ses parents. Quelle promesse pour la jeunesse !

Juliette n'a pas choisi d'être chômeuse

Juliette, 30 ans, 2 enfants en bas âge, séparée, travaille dans la restauration, dans sa commune près de la mer. Elle travaille beaucoup ou peu en fonction de la météo, elle ne sait jamais quand la saison touristique d’été démarre et se termine. Elle ne peut faire la saison d’hiver car elle n’est pas mobile. La garde d’enfants lui coûte cher car elle travaille sur des horaires atypiques.

Avec la réforme, il sera beaucoup plus difficile à Juliette de cumuler 6 mois d’activité pour ouvrir des droits. De plus, une fois ses droits obtenus, cela lui sera impossible de bénéficier du rechargement.

Fabienne n'a pas choisi d'être chômeuse

Fabienne, 45 ans, peu qualifiée, fait de l’intérim depuis 20 ans sur des chaines de production, aussi bien dans l’industrie que dans l’agroalimentaire, surtout la nuit. Elle alterne sans cesse des périodes d’emploi et de chômage, ces dernières ayant tendance à s’allonger car plusieurs entreprises ont fermé autour de chez elle. Aujourd’hui, elle accepte toutes les propositions qui peuvent lui être faites dans un rayon de 30 km, voire plus, sachant qu’elle doit louer une voiture pour se rendre au travail. Concrètement, elle se prive régulièrement de manger pour pouvoir louer et mettre de l’essence dans son véhicule qui est son seul moyen de transport possible. Elle vient enfin d’obtenir un logement social avec l’aide de l’assistante sociale.

Aujourd’hui, avec les salaires de ses missions d’intérim et son allocation, elle perçoit près de 1 000 € par mois. Son allocation pourrait baisser de 150 à 200 €, alors même que ses frais de transport s’élèveront toujours à 200 € par mois.

Avec votre réforme, ce sont comme Fabienne, les personnes les plus vulnérables qui d’ores et déjà aujourd’hui prennent n’importe quel travail, qui vont voir leurs allocations et leur reste à vivre baisser très fortement. Je viens de vous décrire la trappe à pauvreté.

David n'a pas choisi d'être chômeur

David, 51 ans, « cadre maison », licencié après 30 ans de bons et loyaux services. Il n’arrive pas à retrouver du travail car à chaque fois il est en concurrence avec une personne plus jeune, diplômée, moins cher payée, et réputée faire preuve d’une adaptabilité plus forte aux évolutions numériques dans les entreprises qui recrutent dans son secteur. Passé le choc du licenciement, il lui est difficile d’accepter de changer de métier, de se lancer dans une formation longue à son âge, et une baisse de rémunération dans un emploi où il n’a pas d’expérience.

David est aujourd’hui au chômage depuis 9 mois : avec la dégressivité, son allocation baissera de plusieurs centaines d’€uros par mois.

Avec votre réforme, ce sont, comme David, les personnes qui ont le plus de mal à se reclasser qui seront pénalisées.

Et pour rappel, la dégressivité a déjà été une règle mise en œuvre dans l’histoire de l’assurance chômage. Elle n’a ni fait la preuve d’une efficacité quant à un retour plus rapide à l’emploi, ni permis de faire des économies substantielles.

La réalité du chômage

Cette réforme des règles d’indemnisation de l’assurance chômage c’est demain 100% de perdants, rapidement.

Alors que tous les employeurs qui abusent des contrats courts ne seront pas, eux, concernés par le Bonus Malus ? et plus tard…

3. La CFDT a, depuis des années, cherché diverses solutions pour lutter contre l’augmentation des recours abusifs aux contrats courts. Cela fait des années et des années que les employeurs nous disent qu’il faut faire preuve de conviction. Force est de constater que les branches qui ont eu la main pendant plusieurs années, n’ont pas joué le jeu. Les employeurs doivent être responsabilisés via une forme de bonus-malus, oui ! Ce sont eux qui définissent la durée du contrat, la rémunération, les horaires, les conditions de travail et d’emploi … Les employeurs ont tout intérêt à embaucher « juste quand ils ont besoin » et à « reprendre régulièrement les mêmes » qu’ils n’ont pas à reformer quand ils reviennent dans l’entreprise. Mais pourquoi exonérer certains secteurs ? pourquoi renoncer à couvrir tous les recours abusifs aux contrats courts ? des secteurs en abusent plus que d’autres, certes, mais les contrats courts ou très courts sont utilisés dans l’ensemble de l’économie. Tous ceux qui en abusent doivent être responsabilisés et modifier leur comportement !

Pour Fabienne, David, Juliette, Marco et tant d’autres, la question aujourd’hui pour la CFDT est bien de défendre les droits des demandeurs d’emploi.

Et force est de constater que le système est aujourd’hui à bout de souffle

  • la CFDT demande donc que le débat ne se limite pas uniquement à des modifications de règles pour les personnes indemnisées pour faire des économies ou à la mise en place de tel ou tel dispositif de bonus malus

  • mais que le sens et l’architecture du régime lui-même soient aussi en débat. Pour le dire autrement, quel rôle de l’assurance chômage dans le système de protection sociale français et quelles responsabilités claires des acteurs ?

Nous le disons depuis le mois de février : il nous faut préparer l’avenir du modèle social et revoir les modalités de partage des rôles et des responsabilités entre le régime d’assurance qui relève de la responsabilité des partenaires sociaux et le régime de solidarité nationale, géré par l’Etat.

La CFDT ne sera guidée que par un seul objectif : permettre aux demandeurs d’emploi de retrouver un travail et de vivre dignement d’une allocation chômage.

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