y a une route... tu la longes ou tu la coupes ?
- Lionel ROQUES (Délégué syndical CFDT)
- 1 oct. 2019
- 3 min de lecture
Du numérique, du digital, de l’Intelligence Artificielle et d’Intelligence Emploi, il va bien falloir en reparler… Il va bien falloir en reparler car ces sujets vont occuper désormais nos longues soirées d’hiver et nos échanges professionnels… Il va bien falloir en reparler car cela prend et prendra une place centrale dans nos organisations… et ce n’est pas prêt de changer…
Car si Pôle emploi a décroché une aide de l’état de 20 M€ au titre du Fonds pour la Transformation de l’Action Publique, le projet Intelligence Emploi se monte à presque 50 M€ sur 3 ans (à titre de comparaison, la fameuse « Classif », sujet de prédilection des tracts en tous genres, en a coûté 30).
Il y a pourtant matière à s’interroger car ce projet, en période de disette budgétaire, est hautement stratégique.
Dans le détail, il se décline sur 3 axes, dits « cas d’usage » :
Le premier de ces axes vise à développer une réponse rapide et adaptée aux sollicitations par mail des demandeurs d’emploi, à terme d’installer une assistance en ligne.
Le second tend à renforcer l’aide au diagnostic grâce à la compilation et au croisement des données relatives au demandeur d’emploi et à sa zone de recherche.
Le dernier, enfin, consiste à apporter aux entreprises un soutien dans le recrutement (adéquation des propositions, confrontation offre/demande…).
Bien sûr, la proposition intellectuelle est séduisante. On se dit que la capacité de la machine à compiler des données, aligner des causalités, ne peut qu’ouvrir et enrichir le champ d’intervention professionnel pour faciliter le retour à l’emploi des demandeurs et mieux satisfaire les employeurs.
Mais rien n’est moins sûr… L’IA (Intelligence Artificielle) combine en réalité le traitement multiple de données (ce n’est pas une nouveauté depuis les débuts de l’informatique) avec la capacité d’apprendre. Cela signifie que ces systèmes dits intelligents s’enrichissent avec le temps, tirent profit de nouvelles situations rencontrées, bref, s’auto-alimentent dans un apprentissage sans fin.
Alors, qui peut prédire quelle sera la réaction de l’utilisateur ? Qui peut affirmer que, par facilité, paresse intellectuelle, souci de rapidité ou simple conformisme, le conseiller ne va pas céder à la magie vénéneuse de l’algorithme et s’y livrer sans retenue ?
Qu’il ne va pas, par exemple, valider en l’état le parcours professionnel et les étapes proposées par le calculateur pour un demandeur d’emploi donné et ainsi renoncer à sa libre analyse ?
Remettre l'humain au centre du jeu
A la CFDT, nous nous préoccupons de la maîtrise par l’utilisateur des outils qu’est en train de créer notre direction.
Cela va être pour notre syndicat un enjeu considérable dans lequel il s’agira de remettre l’humain au centre du jeu et de veiller à une réelle plus-value à l’usage de l’IA.
Car les outils ne sont ni bons ni mauvais par essence : ils sont ce qu’en fait la main de l’artisan !
Le traitement massif de données repose sur les lois de la statistique.
Les mathématiciens ont souvent évoqué la poésie (si, si… !) qui émane de leur science. Et si nombre de branches des mathématiques n’en sont pas dépourvues (de poésie), ce n’est certainement pas le cas de la statistique !
La statistique, ou l’art de faire rentrer des populations, de gré ou de force, sous la courbe de Gauss !
Courbe de Gauss qui trace ce que les statisticiens appellent la Loi « Normale » !
La statistique, pilier de l’économie libérale, rassure aussi bien les milieux financiers que les démagogues de la politique.
La statistique, qui est la matrice d’un « monde sans esprit », un monde sans poésie et sans humour.
L’univers des algorithmes s’ouvre sur des paysages désolés où les arbres du choix et l’arbre des causes constituent la seule végétation, où les lacs de données sont les uniques points d’eau !
Il sera peut-être temps d’ouvrir les yeux et de s’interroger sur cette vertu inconditionnelle accordée au modèle purement cartésien que génère l’IA. Y’a certainement une route mais il va falloir marcher encore longtemps pour la trouver.

“Les chiffres sont aux analystes ce que les lampadaires sont aux ivrognes : un appui plus qu’un éclairage.” Jean DION
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